La bataille de Voreppe [modifier]
Voreppe, monument aux morts
En mai-juin 1940, après avoir envahi les deux-tiers du territoire français, les avant-gardes allemandes vont tenter de forcer le seuil de Voreppe à partir du 21 juin, mais elles sont contenues très énergiquement sur la route qui mène à Grenoble (environ à 12 km des portes de la ville).
Le 15 juin 1940, espérant satisfaire au moindre coût ses revendications territoriales sur une France submergée par les divisions allemandes, l'Italie entre en guerre. L’armée des Alpes résiste victorieusement et l'Artillerie du 14e Corps d'Armée inflige de lourdes pertes aux forces italiennes.
Partout elle leur interdit de déboucher et leur inflige une sévère défaite : sur un front de quatre cents kilomètres, en deux semaines d'affrontement, sous un temps parfois "hivernal", les vingt-quatre divisions italiennes de premier échelon et les huit divisions de soutien engagées dans l'attaque des positions de défenses françaises sont stoppées par les destructions opérées en avant de la position de résistance et par la mise en œuvre d'un système de défense cohérent, appuyé par de puissants feux d'artillerie.
Malgré une écrasante supériorité numérique, l'offensive italienne échouera ; les positions de résistance française ne seront franchies en aucun point du front ; les pertes italiennes seront estimées à 20 000 hommes dont 10 000 prisonniers et de nombreux matériels détruits.
Pour prendre l’armée des Alpes à revers, les divisions motorisées et blindées allemandes du 16e Corps occupent Lyon déclarée ville ouverte (par décision gouvernementale, sur la demande d'Edouard Herriot, maire de Lyon) dont les 10 ponts sont restés intacts, le 18 juin.
La première ligne de résistance de l’armée des Alpes, établie sur le Rhône entre Lyon et la Suisse, est alors impossible à tenir, et donc rapidement enfoncée par les troupes allemandes. Plusieurs unités de défense de la position abandonnée ne disposant pas de moyens de transports organiques, ne peuvent être évacuées et seront faits prisonniers.
Des milliers d'hommes, de nombreux matériels, armements, parcs et dépôts seront ainsi perdus. Le 20 juin, le haut commandement allemand communique son intention de faire jonction avec les Italiens à Chambéry et de s'emparer de Grenoble.
Une deuxième ligne de résistance française est donc à créer de toute pièce sur l'Isère, la défense en est confiée au Général Cartier. On décide de tirer profit du rétrécissement naturel de la vallée de l'Isère au niveau précisément, de ce que les géographes appellent le seuil de Voreppe.
Le Général René Olry Commandant de l’armée des Alpes excluant tout prélèvement d'effectifs et de matériels sur le front des Alpes, il faut donc récupérer tous les moyens possibles pour étayer le Groupement du Général Georges Cartier. On réussit à rassembler une vingtaine de bataillons avec des éléments épars de dépôts (coloniaux, aviateurs, marins...) de réservistes et d'éléments rescapés des combats du Nord-Est ; la marine de Toulon fournit des batteries de marine... Une petite armée improvisée d'environ 30 000 hommes est ainsi réunie en une semaine, il faut y rajouter environ 130 canons. Tout cela forme un ensemble fort disparate à valeur militaire incertaine et sans grande cohésion, bien peu capable d'affronter l'assaut d'une armée allemande aguerrie et disposant d'un matériel puissant.
Le IIème bataillon du 104e Régiment d'Artillerie Lourde Automobile peut se détacher du lot. Composé des restes des Ier et IIème groupes du régiment qui a été décimé au cours de la retraite des Flandres, il avait ramené ses pièces au travers des colonnes ennemies jusqu'à Dunkerque où il allait les détruire sur ordre. Poursuivant sa retraite, il s'était embarqué et avait gagné l'Angleterre pour être redébarqué à Brest. Traversant la France jusqu'à Lyon où il reçoit de nouvelles pièces de 105 long modèle 1936 Schneider (portée 17 500 mètres) destinées à l'armée roumaine (mais ces canons qui viennent d’être évacués du Creusot afin d'éviter qu'ils ne soient pris par les Allemands, sont nus, sans appareils de pointage ni accessoires, aucune munitions ne les accompagnent), il est réduit à 14 officiers et 175 hommes ayant déjà subis l'épreuve du feu.
A Valence il reçoit des canons de 155 GPF (canons de 155 mm à grande puissance Filloux, tracté par automobile, portée de 19 200 mètres) récupérés sur les quais de Toulon. Le Général Olry met alors ce groupe aux ordres du XIVème Corps mais, redoutant la rupture du front de l'Isère, il l'affecte à la défense des cols alpestres à quelques 80 km de Grenoble, sur la prochaine ligne de défense programmée.
Le 22 juin au matin, une colonne de 150 chars de la 3e division de panzers, suivie d'éléments de la 7e division motorisée tente de forcer le seuil de Voreppe. C'est dans cette situation désespérée que le Général Georges Marchand va s'avérer l'acteur principal de la défense en exploitant au mieux la topographie de la trouée de Voreppe pour verrouiller la poche de Grenoble.
Le Général Georges Marchand, premier Général français issu de l’Artillerie, commandait celle-ci au sein du XIVème Corps d’Armée.
Ayant pris connaissance de la déclaration des Allemands disant qu'ils n'occuperaient que le territoire français conquis par les armes, le 23 juin, il explique à son supérieur hiérarchique le Général Beynet Commandant le XIVème Corps d'Armée, la manœuvre qu'il envisage et recueille son approbation : suppléer par un commando éclair de canons lourds (ceux du II/104 R.A.L.A.) à l'inexplicable absence de moyens d'artillerie lourde dont disposait les faibles et disparates unités chargées de résister à la pénétration allemande dans la cluse de Voreppe.
Plus tard, il expose à ses officiers cette manœuvre risquée, en totale dépendance de la valeur des exécutants, de les faire descendre sur Voreppe pour livrer encore une bataille au moment où l'armistice allait être conclue. Il les convainc qu'en interdisant à l'ennemi de mettre pied dans les Alpes, des conséquences importantes seront évitées dans l'avenir, il recueille l'adhésion enthousiaste de tous les officiers et la compréhension des hommes rassemblés.
Un travail de préparation intense s'ensuit (reconnaissances des futures positions des pièces, topographie, liaisons téléphoniques...). Par une nuit noire et sous une pluie torrentielle, un groupe de canons lourds tractés, dirigés par le bouillonnant Capitaine Charles-Azaïs de Vergeron, parcourt 80 kilomètres tous feux éteints par les routes de montagne en moins de huit heures. À trois heures du matin, le Général Marchand retrouve le groupe de Vergeron au pont du Drac.
Le II/RALA avait été accueilli quelques instants auparavant par le Chef d'escadron de réserve Marcel Crozet-Fourneyron (industriel et beau-frère du Général), de l’état-major de l'Artillerie du XIV Corps d'Armée, arrivé au pont du Drac juste à temps pour empêcher le Génie de le faire sauter. Le groupe rejoint alors des emplacements minutieusement déterminés et profite de la fin de la nuit pour se mettre en place.
Le 24 juin, le 16e Corps blindé allemand se déploie devant les troupes françaises bien camouflées. Ignorant la présence des canons français de longue portée, les blindés de la 3e Panzer se rassemblent et s’apprêtent à forcer la trouée de Voreppe. Durant tout l'après-midi les canons français neutralisent toutes les colonnes de véhicules arrêtés (mitrailleuses, chars, camions), leur occasionnent des pertes sérieuses et les obligent à faire demi-tour. Ils prennent aussi à partie neuf batteries de mortiers et de canons allemands qui tirent sur Voreppe et Grenoble et leur impose de cesser les tirs. Ils dispersent les rassemblements de chars et incendient un dépôt de carburant. Un terrain d'aviation au Sud-Est de Moirans qui grouille d'activités et sur lequel atterrissent déjà les premiers avions ennemis (12 avions de la Luftwaffe seront détruits), est rendu hors d'usage.
Jusqu'à la tombée de la nuit, l'Artillerie reste maître du champ de bataille. Les pertes ont été évaluées à plusieurs centaines de tués côté allemand contre une dizaine côté français (avec malgré tout de nombreux blessés). Elle interdit aux Allemands de briser la résistance de Voreppe avant l'armistice et sauve Grenoble de l'occupation.
Pendant que se déroule cette bataille de Voreppe, le Général Marchand a aussi d'autres préoccupations puisque la 13e division d'infanterie motorisée allemande vient de franchir le Rhône à Culoz, elle pousse sur Chambéry de part et d'autre du lac du Bourget et s'empare d'Aix-les-Bains le 23 juin vers 18 h 00. Des renforts d'Artillerie du 14e Corps d'Armée sont alors envoyés durant la nuit pour défendre la trouée de Viviers d'une part, pour renforcer à l'ouest de Chambéry le dispositif d'infanterie du Colonel de Bissy, commandant le secteur de Guiers du confluent du Rhône jusqu'aux Echelles d'autre part, et enfin pour se mettre à la disposition du Général Cartier sur Chambéry.
Ces troupes arrivent à temps pour bloquer l'infanterie allemande et matraquer toutes les unités ennemies s'aventurant entre le Rhône et le lac du Bourget jusqu'à l'entrée en vigueur de l'armistice et du cessez le feu le 25 juin à 0 h 35.
Dans cette bataille défensive contre le 16e Corps blindé allemand, l'Artillerie du XIVème Corps d'Armée a joué un rôle décisif. En disloquant les attaques et les concentrations de l'adversaire, elle a permis aux fantassins du groupement Cartier de tenir fermement les positions. D'ailleurs le Général Cartier complimentera (à sa manière) l'action du Général Marchand en disant :
l'Artillerie est entrée dans la bataille comme un cambrioleur.
Cette phrase surprenante voulait dire de façon imagée que les Artilleurs, contre toute attente et dans la plus grande discrétion (de nuit), s'était introduite dans sa zone de responsabilité et l'avait dépouillé de son unique préoccupation ; c'est-à-dire : arrêter l'ennemi allemand.
Pour sa clairvoyance, sa préparation minutieuse de la bataille, sa volonté farouche de vaincre et ses décisions énergiques, le Général Marchand reçoit la citation suivante des mains du Général Beynet : « Officier général du plus grand mérite. Alors que le Corps d'Armée, attaqué à l'Est par les forces italiennes, s'est trouvé menacé sur ses arrières par des unités blindés allemandes, a su rapidement employer les unités d'artillerie disponibles. Après des reconnaissances personnelles, les a engagées dans des conditions telles que leur bon rendement a très largement contribué au maintient de l'intégrité des positions de défense assignés au Corps d'Armée. »
Cette citation lui attribue la Croix de Guerre avec étoile de vermeil.
On dira alors de lui, plus tard, qu'il avait par ces faits d'armes — génial mélange d'inspiration, de conception et d'exécution, sauvé l'honneur de l'Artillerie française et que la bataille de Voreppe était digne de figurer en exemple et d'être cité en exploit dans les anthologies d'artillerie : 26 divisions italiennes, 3 divisions blindées allemandes ont été tenues en échec. La Savoie et le Dauphiné sont restés inviolés par les armes.